BIOCARBURANTS A BASE DE PLASTIQUE : Une fausse bonne idée pour l’Afrique ?

Face aux défis énergétiques et environnementaux, plusieurs pays africains envisagent la transformation des déchets plastiques en carburants. Mais la technologie de pyrolyse, au cœur de cette démarche, suscite des réserves scientifiques et environnementales croissantes.

Biocarburant Légende : Biocarburant

Alors que la lutte contre la pollution plastique s’intensifie à l’échelle mondiale, plusieurs pays africains misent sur une piste technologique controversée : la production de biocarburants à partir de déchets plastiques. Une idée portée récemment par des gouvernements comme ceux de la Tunisie, du Nigeria, de la Sierra Leone ou encore du Gabon, où des discussions ont été entamées avec le groupe canadien Corsair Group International.

Le 16 juin dernier à Libreville, le ministre gabonais de l’Industrie, Lubin Ntoutoume, a reçu les représentants de cette entreprise spécialisée dans le recyclage pour explorer la faisabilité de l’implantation d’unités de pyrolyse. Ce procédé consiste à chauffer les déchets plastiques en l'absence d'oxygène afin de produire des carburants liquides. Une approche séduisante en apparence, mais dont l’impact environnemental soulève de nombreuses critiques. « La pyrolyse donne l’illusion d’un recyclage vert, mais elle reste fondamentalement une forme de combustion, avec des émissions toxiques non négligeables, » alerte Dr Léa Kouadio, chercheuse en chimie environnementale à l’Université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan.

Dans un rapport publié en février 2025, la revue MDPI Sustainability rappelle que même dans des conditions industrielles optimales, la pyrolyse reste moins performante que le recyclage mécanique en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le procédé, très énergivore, nécessite en outre des plastiques triés et homogènes, une exigence rarement remplie dans les systèmes de gestion des déchets des pays du Sud.

Le think tank KAPSARC (King Abdullah Petroleum Studies and Research Center), dans une étude parue en mai 2025, souligne de son côté que le rendement énergétique de la pyrolyse reste très variable, et que sa réussite dépend de nombreux facteurs structurels rarement réunis dans les pays africains. « Il ne faut pas faire de la pyrolyse un totem technologique. Sans filières de tri, sans standards clairs, on risque de construire des usines qui tourneront à vide ou généreront plus de pollution qu’elles n’en évitent, » prévient Dr Kossi Amouzou, consultant indépendant en ingénierie des déchets à Lomé.

Les critiques ne viennent pas que du monde scientifique. L’ONG GAIA (Global Alliance for Incinerator Alternatives) qualifie la pyrolyse de « recyclage thermique déguisé », et alerte sur ses risques sanitaires. Des substances toxiques telles que les dioxines, les furanes ou les métaux lourds peuvent être relâchées dans l’atmosphère, en l'absence de filtres sophistiqués – absents de la plupart des projets envisagés en Afrique.

L’International Pollutants Elimination Network (IPEN) va plus loin et accuse certaines entreprises de prolonger artificiellement la dépendance au plastique en promouvant des technologies qui, selon elle, ne remettent pas en cause la surproduction à la source. « La pyrolyse n’est pas une solution circulaire. C’est une fuite en avant qui risque de détourner les gouvernements des vraies priorités : réduction du plastique à la source et développement de filières locales de recyclage, » explique Mounir Chikhaoui, responsable Afrique du Nord de l’IPEN.

Pour les défenseurs de la pyrolyse, comme Marc Latulippe, directeur Afrique de Corsair Group International, cette technologie ne doit pas être rejetée, mais encadrée. « La pyrolyse peut être utile dans des zones où il n’existe aucune autre alternative de traitement. Mais elle doit s’inscrire dans un plan intégré de gestion durable des déchets, et non la remplacer. » La position est partagée, de manière nuancée, par Dr Amina Fofana, experte en économie circulaire au Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) : « Ce n’est pas la technologie en elle-même qui est toxique, mais l’absence de gouvernance autour de son déploiement. Sans transparence, normes strictes, et formation locale, on court au fiasco. »

 


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